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Les Selfies et l'image de soi

Dans cet article, il sera question des “selfies” avec cette nouvelle étude à paraitre en juin de cette année 2020 dans la revue Body Image sous le titre “Uploading your best self : Selfie editing and body dissatisfaction” (Télécharger le meilleur de soi : l'édition de selfies et l'insatisfaction corporelle) portant sur 130 femmes âgées de 18 à 30 ans. 



Nous allons d’abord faire un tour d’horizon de quelques résultats obtenus lors de précédentes recherches et de quelques concepts clés pour comprendre les questions que les chercheurs se posent. 

Les analyses statistiques, c’est-à-dire les calculs menés sur les résultats obtenus dans une étude, ont pour but (parmi d’autres) de mettre en évidence des corrélations. Une corrélation c’est une relation entre deux variables, par exemple : la durée de votre sommeil et votre niveau de fatigue dans la journée, ou encore, votre âge et le nombre de films que vous regardez pendant le confinement. Ainsi, grâce à plusieurs formules, les chercheurs sont capables de dire si deux variables évoluent en même temps ou si elles semblent indépendantes. En revanche, et c’est un point important, corrélation ne veut pas dire causalité. Même lorsqu’une corrélation est trouvée entre variables, les statistiques ne peuvent pas dire aux chercheurs si une variable est responsable de ce qui arrive à l’autre. Encore un exemple, si on observe que le QI (Quotient intellectuel) augmente chez les enfants avec leur taille, on ne peut pas en conclure que plus un enfant est grand, plus il a un QI élevé. Un site partage quelques corrélations absurdes comme le nombre de noyades dans une piscine corrélé au nombre de films dans lesquels apparait Nicolas Cage. 


Voici donc quelques résultats obtenus dans de précédentes recherches et qui révèlent des corrélations :

  • L'utilisation des réseaux sociaux est associée à des problèmes d’image du corps et de troubles alimentaires.

L’image du corps, en psychologie, correspond à l’image que nous nous faisons de notre propre corps dans notre esprit à partir de perceptions internes et externes. Cette représentation est en perpétuelle construction. L’image du corps peut être le lieu d’une multitude de souffrances psychiques. Il peut être l’objet d’obsessions, il peut être ralenti ou douloureux dans la dépression, il peut aussi paraître étranger à soi dans la dépersonnalisation ou bien déformé à travers ce qu’on appelle la dysmorphophobie que l’on retrouve dans l’anorexie mentale.

  • Une comparaison ascendante (voir la théorie de la comparaison sociale ci-dessous) à des photos irréalistes conduit à une insatisfaction par rapport à sa propre apparence.

La théorie de la comparaison sociale (Festinger en 1954) : 

La tendance qu’ont les individus à se comparer avec les autres afin de s’évaluer eux-mêmes, d’estimer leur valeur, de connaitre ce qui semble juste et s’améliorer et ce en l’absence de référence objective. Selon cette théorie, il existe 3 types de comparaisons :  1- la comparaison ascendante : le fait de se comparer à meilleur que soi. 2- la comparaison descendante : le fait de se comparer à moins bon que soi. 3- la comparaison latérale : le fait de se comparer à ses semblables sans supériorité ni infériorité.

Voici une vidéo qui illustre ce principe de comparaison sociale :


  • L’auto-objectification (voir la théorie de l’objectification ci-dessous) est associée à des éléments négatifs concernant l’image du corps.

La théorie de l’objectification (Fredrickson et Roberts 1997) :

L'objectification est sexuelle et renvoie au fait de traiter, en particulier, certaines femmes ou certaines parties de leurs corps comme des objets ainsi réduits à leurs fonctions. La réalité vécue serait intériorisée par les femmes sous la forme d’une auto-objectification. Selon les deux psychologues à l’origine de cette théorie, la société occidentale exerce une pression sur l’apparence des femmes qui finissent par intégrer ces expériences et l’idée qu’elles sont d’abord évaluées selon des critères physiques.

A travers l’analyse du traitement de l’information visuelle, le Dr Bernard a pu confirmer ce mécanisme d’objectification en présentant aux participants des corps médiatiques sexualisés. Le traitement des corps comme des objets se fait aussi bien de la part des hommes que des femmes. Cela semble davantage dû à la posture suggestive du corps qu’à sa nudité. D’autres éléments, non physiques semblent entrer en compte, puisque l’évocation d’éléments de personnalité valorisés socialement annulent l’objectification. Les femmes sexualisées sont perçues comme ayant des personnalités moins complexes et comme davantage responsables en cas d’agression sexuelle à leur encontre.

  • La publication et le visionnage de photos, ainsi que la recherche de commentaires, sont les activités les plus délétères sur les réseaux sociaux en ce qui concerne l’image du corps.

  • Les femmes publient plus de selfies que les hommes et il en est de même des adolescents et jeunes adultes par rapport aux adultes plus âgés.

  • Les selfies ont également été associés à des traits de personnalité comme : le narcissisme, l’extraversion et l’exhibitionnisme social.

Le narcissisme en tant que trait de personnalité se définit par un sentiment excessif d’importance personnelle, un fort besoin d’être admiré et un manque d’empathie. L’extraversion se caractérise par des investissements tournés vers l’extérieur, comme le fait d’exprimer facilement ses émotions ou de nouer facilement des contacts avec les autres. L’exhibitionnisme social rejoint le narcissisme en ce qu’il correspond aussi au désir d’être admiré en s’exhibant socialement.

  • Le nombre de selfies publiés est en lien avec la tendance à l’auto-objectification (cf. Théorie de l’objectification). 

  • Les femmes qui publient des selfies en prennent entre 2 et 5 avant de choisir celui à poster et consacrent environ 10 minutes par jour à cette activité.

  • Le niveau d’effort dans le choix de la photo et le niveau de préoccupation concernant les réactions après publication sont liés à l’insatisfaction corporelle et aux préoccupations alimentaires chez les adolescentes et les jeunes femmes adultes.

  • Le fait de voir des photos éditées (filtres, retouches, etc.) et irréalistes sur Instagram a un impact négatif sur la satisfaction de l’apparence par rapport au visionnage de photos non éditées. 

  • Le fait de ne pas pouvoir éditer la photo à publier rend les femmes plus anxieuses, moins confiantes et moins attirantes physiquement, ce qui va dans le sens d’envisager le selfie comme un acte d’auto-objectification. 

Retour à l’étude dont il est question dans cet article. Les participantes ont été réparties aléatoirement dans deux groupes selon le déroulement suivant :

1- Les chercheurs ont demandé aux participantes du premier groupe de regarder des photos sur Instagram de femmes minces (afin d’induire une insatisfaction corporelle / théorie de la comparaison sociale) et à celles du deuxième des photos de femmes de taille moyenne. 2- Les participantes ont ensuite pris un selfie qu’elles ont pu modifier pendant 10 minutes. 3- Enfin, les chercheurs ont évalué l’état d’esprit, l’insatisfaction corporelle, l’insatisfaction du visage au départ, après avoir vu les photos Instagram et après avoir modifié leur selfie. 


Les résultats de cette étude :

Les réseaux sociaux :

  • 96.9% des participantes possèdent un compte Facebook et 93.1% un compte Instagram.

  • Le temps quotidien le plus fréquent (le mode) est de 30-60 minutes sur Facebook et 1-2 heures sur Instagram.

  • Le mode (la valeur la plus fréquente) d’abonnés/amis sur Facebook et Instagram se situe entre 100 et 500.

  • Les contenus les plus partagés (d’après les réponses des participantes) : 1- amis/famille ; 2- photos de voyage ; 3- selfies ; 4- nature ; 5- nourriture ; 6- animaux domestiques. 

L’expérience :

Les résultats, après analyse statistique, révèlent un effet significatif de la condition expérimentale. C’est-à-dire que l’exposition aux photos de femmes minces sur Instagram provoque une augmentation de l’humeur négative, de l’insatisfaction corporelle et faciale chez les participantes du groupe 1 par rapport celles de l’autre groupe. A l’inverse, une légère diminution de ces mêmes traits est observée chez les participantes du groupe 2 qui a visionné des photos de femmes de poids normal. 


Le selfie et les filtres :

  • Les participantes ont pris en moyenne 3,7 selfies pour l’expérience, nécessitant en moyenne 1 minute et 27 secondes.

  • Les participantes ont passé en moyenne 4 minutes et demie pour éditer leurs selfies. 

  • Les fonctions d’édition les plus utilisées dans l’ordre : 1- lissage et couleur de la peau ; 2- élimination des cernes ; 3- élimination des imperfections. Plus de la moitié des participantes ont utilisé ces trois fonctions. 

  • L’insatisfaction corporelle induite par la condition expérimentale n’a pas eu d’effet sur le nombre de selfies pris ni sur le temps passé à l’édition. 

  • Le simple fait de prendre un selfie, quel que soit le groupe, augmente l’humeur négative et l’insatisfaction faciale.

  • Les pensées associées à l’édition du selfie provoquent une augmentation de l’humeur négative et de l’insatisfaction. L’augmentation de l’insatisfaction faciale est prédite par les pensées associées à l’édition suivantes : le jugement des autres et paraitre mieux que dans la vie réelle. 

  • Les participantes étaient plus heureuses de leur selfie édité que de l’original. 

Conclusion :


Bien que le selfie soit devenu une activité très fréquente et même quotidienne, et bien que les stratégies de maitrise comme le nombre de prises ou l’édition de la photo, permettent une satisfaction plus grande qu’avec la photo originale, cette étude, comme d’autres avant, en soulignent les conséquences négatives et insidieuses. Ainsi, le risque est une lente augmentation de l’humeur négative et de l’insatisfaction faciale sur le long terme avec pour conséquences possibles un retentissement sur l’image de soi et les comportements alimentaires. 


La prévention de ces risques par l’information pourrait être une première étape. Encourager la publication de selfies naturels plutôt qu’édités pourrait contribuer à éviter les effets néfastes révélés par ces études mais aucune publication à ce sujet ne permet pour l’instant de le savoir. En revanche, il a été montré que le visionnage de photos naturelles et non éditées avait un effet positif sur l’image du corps.



SOURCES :

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