Ce qui maintient les dirigeants engagés dans des comportements destructeurs
SOMMAIRE :
« Marie est une jeune femme dynamique qui a récemment été promue au poste de directrice adjointe dans une entreprise de développement immobilier. Elle est enthousiaste à l'idée de prendre en charge de nouveaux projets et de travailler avec son équipe pour les mener à bien. Malheureusement, son enthousiasme est rapidement éteint par son manager, Jonathan, qui est d'un naturel désagréable et a un comportement destructeur. Jonathan est constamment en train de critiquer Marie et ses idées, et il n’hésite pas à la ridiculiser devant les autres employés. Marie se sent découragée et démotivée, et elle commence à douter de ses capacités… »
Le comportement de leadership destructeur est défini comme le comportement systématique et répété d'un dirigeant, d'un superviseur ou d'un manager qui viole l'intérêt légitime de l'organisation en sapant et/ou en sabotant les objectifs, les tâches, les ressources et l'efficacité de l'organisation et/ou la motivation, le bien-être ou la satisfaction professionnelle de ses subordonnés. Trois catégories de ce type de leadership destructeur sont identifiées dans le modèle proposé : le comportement tyrannique, le déraillement et le comportement de soutien et de déloyauté.
Un étudiant prend connaissance de l’histoire de Marie et demande des explications à son professeur de psychologie, le Pr. Ephexis :
Étudiant : Qu'est-ce qui pousse les dirigeants à adopter des comportements de leadership destructeur ?
Pr. Ephexis : Jusqu'à présent, la recherche s'est principalement concentrée sur les caractéristiques individuelles des dirigeants et a démontré que certains traits de personnalité tels que l'agréabilité et le névrosisme sont liés aux comportements destructeurs chez les dirigeants.
Etudiant : Comment peut-on définir l'agréabilité et le névrosisme ?
Pr. Ephexis : On définit les traits de personnalité en termes de tendances stables à se comporter et à ressentir des émotions d'une certaine manière dans différentes situations. Ainsi, l'agréabilité désigne une tendance générale à être aimable, chaleureux et serviable, tandis que le névrosisme désigne une tendance générale à être anxieux, irritable et sensible aux stress.
L’organisation du travail
Etudiant : Est-ce qu’il y a d’autres facteurs que la personnalité pour expliquer ce comportement destructeur ?
Pr Ephexis : Des recherches récentes ont suggéré que les antécédents organisationnels sont tout aussi importants pour comprendre le leadership destructeur.
Étudiant : Quels sont certains de ces antécédents organisationnels ?
Pr. Ephexis : D’après le cadre suggéré par Wang et al. en 2010, nous pouvons considérer trois facteurs de stress au travail dans l'émergence de comportements de leadership destructeurs : la perception de la charge de travail par les leaders, l'ambiguïté de leur rôle et les conflits intragroupe.
Les conséquences
Étudiant : Y a-t-il des conséquences au leadership destructeur ?
Pr. Ephexis : Oui, le leadership destructeur peut avoir des conséquences préjudiciables pour les employés et les organisations. Les comportements destructeurs actifs font référence à la mesure dans laquelle les dirigeants adoptent des comportements verbaux et non verbaux hostiles tels que les menaces, les punitions, l'arrogance et les exigences excessives. Les comportements destructeurs passifs comprennent les comportements d'évitement et de désordre, dans lesquels le leader ne répond pas aux demandes de ses subordonnés, est absent lorsqu'il le faut, ou est incapable de fournir une structure aux employés.
La théorie de la conservation des ressources
Etudiant : Qu’est-ce que la théorie de la conservation des ressources ?
Pr. Ephexis : Cette théorie suggère que les gens s'efforcent d'obtenir, de conserver et de protéger leurs ressources. Ces ressources peuvent être des objets, des caractéristiques personnelles ou des conditions. Et lorsque les gens ont le sentiment qu'ils pourraient perdre ces ressources, cela peut provoquer du stress.
Etudiant : Donc si je comprends bien, si un leader doit faire face à de nombreuses demandes et risque de perdre ses ressources, il peut avoir recours à des comportements destructeurs ?
Pr. Ephexis : Exact. Selon la théorie, lorsque les leaders sont à court de ressources, ils peuvent adopter une stratégie défensive pour conserver ce qui leur reste. Et cela peut signifier avoir recours à des comportements contre-productifs ou autodestructeurs.
L’importance de la charge de travail
Etudiant : Est-ce que la charge de travail peut avoir son importance ?
Pr. Ephexis : La charge de travail est la quantité de travail, le nombre de tâches ou la pression temporelle présente. C'est un facteur de stress bien connu au travail, avec des conséquences telles que des niveaux de stress accrus et l'épuisement professionnel.
Étudiant : Donc une charge de travail élevée peut conduire un leader à agir de manière agressive ou abusive ?
Pr. Ephexis : Oui, lorsque les ressources du leader sont épuisées, il n’est plus capable de réguler ses émotions et peut se comporter de manière agressive. Par ailleurs, le leader peut se mettre à l’écart des employés et afficher des comportements passifs.
L’ambigüité des rôles
Etudiant : J’ai entendu parler de l’ambiguïté des rôles, est-ce que vous pouvez expliquer ce dont il s’agit ?
Pr. Ephexis : L'ambiguïté du rôle fait référence à la situation où les limites du rôle d'une personne ne sont pas claires, comme les tâches et les responsabilités qui font partie de son poste. L'ambiguïté du rôle est un facteur qui a été associé au stress, à l'anxiété, à une baisse de performance et à une diminution de l'engagement. L'ambiguïté du rôle représente donc un état psychologique stressant qui peut amener le titulaire du rôle à éviter les sources de stress ou à utiliser différents mécanismes de défense.
Étudiant : Quels sont les mécanismes de défense qu'un leader pourrait utiliser lorsqu'il est confronté à l'ambiguïté de son rôle ?
Pr. Ephexis : Un leader peut soit réduire le nombre d'interactions avec les employés, en faisant preuve de formes passives de leadership destructeur, soit agir en raison du stress, en faisant preuve de formes actives de leadership destructeur. En se basant sur Wang et al. (2010) et sur les théories de l'adaptation (Folkman & Lazarus, 1984), un leader épuisé peut alors employer l'une des deux stratégies proposées (agir ou se retirer).
Les conflits intragroupes
Etudiant : Comment les leaders peuvent supporter les conflits au sein de leurs équipes ?
Pr. Ephexis : Les conflits intra-groupes peuvent être une grande source de stress pour les dirigeants et réduire leurs ressources cognitives. Cela peut conduire à des comportements de leadership destructeurs comme la colère, les abus, ou le repli.
Étudiant : Donc, s'il y a beaucoup de conflits, le leader est plus susceptible de s'emporter ?
Pr. Ephexis : Exactement. Et si le leader est déjà très stressé, le conflit peut servir de point de bascule.
Etudiant : Est-ce que la théorie de la conservation des ressources permet de bien comprendre les comportements des dirigeants ?
Pr. Ephexis : C'est exact. La théorie de la conservation des ressources suggère que le stress des dirigeants, qui survient lorsque les ressources sont menacées ou perdues, a une influence importante sur la mesure dans laquelle ils se comportent de manière abusive. Cela correspond à des études empiriques antérieures qui ont établi un lien entre le stress du leader et le leadership destructeur.
Les dernières études
Étudiant : Que disent les études récentes sur les trois facteurs de stress au travail ?
Pr. Ephexis : Les résultats montrent qu'une plus grande charge de travail et une plus grande ambiguïté du rôle sont liées de manière significative à des comportements de leadership plus passifs/courageux. L'ambiguïté du rôle est également liée de manière positive aux comportements de leadership passif/serviteur et incertain/non clair/méticuleux.
Étudiant : Donc une lourde charge de travail et le fait de ne pas savoir ce que l'on attend de vous dans votre rôle peuvent conduire à des comportements de leadership destructeurs ?
Pr. Ephexis : Oui, mais la charge de travail n'était pas liée aux comportements destructeurs passifs/serviteur, et les conflits intragroupes n'étaient pas liés aux comportements de leadership destructeurs actifs ou passifs.
Étudiant : Pourquoi pensez-vous que c'est le cas ?
Pr. Ephexis : Il est possible que la relation réciproque soit plus probable pour les conflits intragroupes que pour les deux autres facteurs de stress au travail, car un leader qui évite l'interaction sera incapable de découvrir de tels conflits. De plus, l'intervalle de temps pour lequel un certain facteur de l'environnement de travail entraîne un stress est encore relativement inconnu. Ainsi, il se peut que l'intervalle de six mois utilisés dans cette dernière étude soit trop court ou trop long pour détecter des différences significatives dans le stress résultant des antécédents étudiés.
Ce qu’il faudra comprendre
Étudiant : Donc, il y a encore des recherches à faire dans ce domaine.
Pr. Ephexis : Oui, nous devons tester davantage le stress en tant que médiateur avant de tirer des conclusions générales. D'après ces résultats, il semblerait que les antécédents organisationnels aient moins d'influence sur les formes actives de leadership destructeur que sur les formes passives. Il se peut que l'engagement dans un leadership destructeur actif dépende plus exclusivement des traits du leader que des antécédents organisationnels.
Pr. Ephexis : Si la personnalité semble jouer un rôle dans les deux cas, les antécédents organisationnels ne prédisent que les formes passives de leadership destructeur. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour comprendre comment différents antécédents organisationnels peuvent conduire à un leadership destructeur actif.
Étudiant : Donc, la personnalité du leader est importante pour le leadership destructeur actif et passif, mais nous ne comprenons pas encore comment les facteurs organisationnels prédisent le leadership destructeur actif ?
Pr. Ephexis : Exactement. Les mécanismes impliqués dans le processus peuvent être différents selon qu'il s'agit d'un leadership destructeur actif ou passif. Les recherches futures devraient donc se concentrer sur la compréhension des différents facteurs qui contribuent à chaque forme.
Qu’en conclure ?
Etudiant : Quelles sont les leçons à tirer de tout cela ?
Pr. Ephexis : Les organisations doivent aborder les comportements de leadership destructeurs actifs et passifs de différentes manières. Pour réduire les comportements de leadership destructeurs passifs, les organisations devraient envisager de s'attaquer aux facteurs de stress organisationnels, comme la clarté et l'ambiguïté des rôles. Les organisations peuvent contribuer à empêcher les leaders d'agir de manière désordonnée en identifiant ceux qui ont des charges de travail trop lourdes et en explorant les moyens de les réduire. L'évaluation régulière de l'environnement de travail des dirigeants et du stress lié au travail, ainsi que le lancement d'interventions visant à prévenir et à réduire les facteurs de stress, seraient probablement aussi bénéfiques pour réduire le leadership destructeur dans les organisations.
Étudiant : Il y a donc des choses que les organisations peuvent faire pour aider à réduire les comportements de leadership destructif.
Pr. Ephexis : Oui, c'est exact. En s'attaquant aux facteurs de stress organisationnels et en réduisant la charge de travail, les organisations peuvent contribuer à réduire les comportements de leadership destructeurs.
« Marie va mieux après que le psychologue ait identifié les facteurs de stress organisationnels qui contribuent au comportement de Jonathan. En particulier, Jonathan est sous une forte charge de travail et il est constamment sous pression pour atteindre les objectifs de l'entreprise. De plus, Jonathan est en contact fréquent avec les clients et il doit souvent prendre des décisions difficiles. Le psychologue a également identifié un manque de soutien de la part de la direction de l'entreprise, ce qui est un facteur majeur de stress pour Jonathan. Le psychologue a recommandé à l'entreprise de réduire la charge de travail de Jonathan et de lui fournir un soutien supplémentaire. »
Tafvelin, S., Lundmark, R., von Thiele Schwarz, U., & Stenling, A. (2022). Why do leaders engage in destructive behaviours? The role of leaders’ working environment and stress. Journal of Occupational and Organizational Psychology, 00, 1– 16. https://doi.org/10.1111/joop.12413
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