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Les Théories du Complot et le COVID-19

Dernière mise à jour : 23 août 2020

Et si l’épidémie de COVID-19 était le résultat de politiques occultes ou d’intérêts industriels qui nous dépassent ?



Depuis plusieurs années, nous entendons parler de théories du complot. Nous allons essayer de comprendre les mécanismes qui se cachent derrières nos croyances en regardant de plus près ce qu’il se passe avec la pandémie de COVID-19. Mais d’abord, nous allons explorer quelques points importants, répondre à un test et peut-être découvrir comment éviter de nous laisser avoir par certains discours conspirationnistes.


Le présent article est largement inspiré d’un article scientifique à paraitre le 1er novembre 2020 dans la revue Personality and Individual Differences sous le titre « COVID-19-related conspiracy beliefs and their relationship with perceived stress and pre-existing conspiracy beliefs » (Les croyances conspirationnistes liées au COVID-19 et leurs relations avec le stress perçu et les croyances de conspiration préexistantes).


Qu’est-ce qu’une théorie du complot ?


En 2014, Viren Swami, du Département de psychologie de l’Université de Westminster à Londres et son équipe proposent de considérer les théories du complot comme un ensemble de "fausses croyances dans lesquelles la cause ultime d'un événement est censée être due à un complot de plusieurs acteurs travaillant ensemble avec un objectif clair à l'esprit, souvent légalement et en secret".


Quelques exemples de théories conspirationnistes :

  • La croyance que le VIH (virus responsable du SIDA) a été créé par des scientifiques ou le gouvernement pour éliminer certains groupes d’humains. En 1994, environ 40% des américains, dans un échantillon aléatoire représentatif au niveau national, ne faisaient pas confiance au gouvernement pour divulguer des informations au public sur le VIH/SIDA.

  • Les croyances autour de la présence de l’homme sur la lune comme par exemple une manipulation médiatique.

  • Les croyances autour des soins médicaux comme la dangerosité des vaccins ou les conséquences cachées de la présence de fluor dans le dentifrice.

  • Les croyances à grande échelle : le monde serait dirigé par une petite élite mondiale, composée de puissants groupes bancaires ou de personnages mystérieux comme les Illuminati, les reptiliens (créatures humanoïdes ressemblant à des reptiles) ou des extraterrestres dont le but est d’instauré un "Nouvel Ordre Mondial".


Concernant la pandémie que nous vivons depuis le début de l’année 2020, plusieurs théories conspirationnistes ont vu le jour, et vous avez probablement entendu parler d’une ou plusieurs d’entre elles :


  • Les croyances liées à l’origine du virus, comme le fait qu’il ait été fabriqué par l’homme.

  • La croyance en un but caché comme le contrôle d’une partie de l’humanité par une autre.

  • La croyance en des mécanismes de propagation comme l’influence des antennes 5G.

  • Etc.


Les théories du complot peuvent être néfastes.


Les quelques exemples cités précédemment illustrent la diversité des théories du complot et leur propension à s’éloigner d’un rapport au réel adapté. Ces croyances peuvent conduire à des comportements néfastes pour le fonctionnement de nos sociétés, notamment en créant une défiance fantaisiste à l’égard d’institutions politiques par exemple, mais elles peuvent aussi entraîner des résistances à l’accès aux soins adaptés.


Qu’il s’agisse de la vaccination ou de la santé dentaire, pour ne citer que ces deux exemples, le rejet de ses traitements conventionnels peut avoir des conséquences graves. Et outre le rejet, certaines théories incitent les personnes à utiliser des méthodes de soins alternatives qui sont également potentiellement dangereuses en elles-mêmes et qui peuvent reposer sur d’autres systèmes de croyances, au-delà des théories du complot, comme des croyances religieuses ou pseudo-scientifiques.


Avec les recommandations ou obligations actuelles concernant le port du masque ou la possibilité qu’une solution vaccinale soit trouvée, la question est donc de savoir à quel point la prolifération de ces théories risque d’avoir des conséquences dramatiques sur le système de santé et l’accès aux soins.


Les facteurs sociologiques associés à la tendance à croire aux théories conspirationnistes.


  • Le niveau d’éducation :

Des travaux récents (2017 et 2019) ont porté sur le lien entre le niveau d’éducation et les croyances conspirationnistes. Les niveaux d’éducation élevés conduiraient à de plus grandes connaissances, une meilleure formation à la pensée analytique (voir plus bas la définition de la pensée analytique) et une sensibilité plus grande aux contre-arguments et aux réfutations. Un meilleur niveau d’instruction donnerait donc des outils pour lutter contre les croyances complotistes.


  • L’orientation politique :

Les théories du complot peuvent se créer ou se renforcer sur un terreau réel comme peuvent l’être par exemple certains événements politiques ou financiers. Ainsi, certains auteurs envisagent ces théories comme des stratégies d’adaptation rationnelle pour donner du sens à un contexte chaotique ou face à l’incertitude qui en découle. Sur le plan politique, les personnes se situant aux extrêmes de l’échiquier, que ce soit l’extrême gauche ou l’extrême droite, sont plus susceptibles de chercher un sens dans les théories conspirationnistes et d’y adhérer.


Existe-t-il des traits de personnalité qui prédisposent à l’adhésion aux théories du complot ?


Le fait d’être plus susceptible d’adhérer à une théorie conspirationniste découle d’une multitude de facteurs. Parmi eux, des traits de personnalité ont été identifiés comme favorisant le développement de croyances erronées. Le trouble schizotypique est un trouble de la personnalité caractérisé, entre autres, par une tendance aux délires, une attention excessive aux détails et la formulation de conclusions non fondées. Lors d’une étude réalisée en 2014 sur 447 adultes, deux dimensions de la personnalité schizotypique étaient prédictives d’une idéation conspirationniste :


  • Les croyances étranges/pensée magique : pensées ou croyances qui influencent le comportement et qui ne sont pas en rapport avec les normes d'un sous-groupe culturel.

  • Les idées de référence : croyances erronées selon lesquelles les événements, les objets ou les autres personnes de l'environnement immédiat de la personne ont une signification particulière et inhabituelle.

La détresse psychologique et l’anxiété peuvent aussi influencer nos croyances. Ainsi, lors d’événements d’une intensité extrême comme une attaque terroriste ou une catastrophe naturelle, la réaction anxieuse peut atteindre des sommets et conduire à une forme d’hypervigilance, c’est-à-dire une vigilance excessivement élevée, une forte anxiété et un fort besoin d’obtenir des informations sur l’événement (un penchant qui peut être alimenté par les chaines d’information en continue par exemple).


Il s’agit de trouver un sens ou un contrôle sur la situation. Ces états peuvent nous conduire à formuler rapidement des hypothèses, d’autant plus que nous sommes exposés à une grande quantité d’informations. Le stress conduit également certains d’entre nous à établir des liens entre des événements, à trouver des schémas et des significations, parfois au-delà d’un raisonnement cohérent.


Quel est le type de pensée d’une personne qui adhère aux théories du complot ?


Dans cette même étude, les chercheurs évaluent les types de pensée des personnes qui adhèrent aux théories du complot. Deux types de pensée différents sont à envisager lorsque nous devons traiter des informations :

  • La pensée analytique : la tendance à résoudre les problèmes par la compréhension des principes logiques et l'évaluation des preuves. Ce fonctionnement demande un effort.

  • La pensée expérientielle : la tendance à penser par associations, avec moins d’efforts et de façon holistique, c’est-à-dire de façon globale plutôt que dans le détail.


Ces deux types de pensées peuvent être nuancés par 3 dimensions :

  • L’intuition : une tendance à résoudre les problèmes de manière intuitive et basée sur l'affect.

  • L’émotivité : une préférence pour les émotions fortes, intenses et fréquentes.

  • L’Imagination : une tendance à s'engager et à apprécier l'imagination, les productions esthétiques et l'imagerie mentale.


Les auteurs ont également évalué :

  • L’ouverture d’esprit des participants : pensée flexible, ouverture, dogmatisme, pensée catégorique, identification des croyances et pensée contrefactuelle ;

  • Le besoin de cognition, c’est-à-dire les différences dispositionnelles dans la motivation intrinsèque à s'engager et à prendre plaisir dans des efforts cognitifs ; et

  • Le besoin de clôture cognitive : la tendance à vouloir saisir rapidement une certitude et à la figer.



Ce qu’il faut retenir dans un premier temps, c’est le fait que les personnes qui adhèrent aux théories du complot ont en moyenne une pensée moins analytique et une ouverture d’esprit moins grande. A l’inverse, elles ont un style de pensée plus intuitif et un besoin plus fort de clôture cognitive. Globalement, les personnes avec une pensée analytique faible, une faible ouverture d’esprit et un besoin fort de clôture cognitive, auront tendance à plus adhérer aux théories du complot.


Quel élément prédit le mieux l’adhésion à une théorie du complot ? La réponse est simple : le fait d’avoir déjà cru à une théorie du complot !



Votre pensée est-elle plutôt analytique ?


Voici un petit test qui n’a rien de sérieux mais qui peut tout de même vous permettre de mieux comprendre la pensée analytique. Il s’agit simplement de répondre à la question suivante :


Combien d’animaux de chaque espèces Moïse a-t-il pris sur son Arche (1) ?


31% des personnes ayant une pensée analytique répondent correctement à cette question contre seulement 8% des participants du groupe contrôle.

La réponse se trouve à la fin de l’article.



Comment atténuer la tendance à croire aux théories du complot ?


Comme suggéré précédemment, le fait d’avoir une pensée analytique est associé à une adhésion moins fréquente aux théories du complot. Est-il ainsi possible d’inciter les personnes à penser de façon plus analytique ? Des études antérieures ont montré l’influence de la façon dont est présentée l’information sur la tendance à y croire. Les informations qui soutiennent une vision conspirationniste favorisent la croyance alors qu’à l’inverse, des informations critiques atténuent l’adhésion aux croyances conspirationnistes.


3 modes d’information et leur influence sur l’adhésion aux théories du complot, du plus efficace au moins efficace :

  1. Un message précis et détaillé des événements aide efficacement à créer des résistances aux croyances ;

  2. Un message basé sur la logique est aussi assez efficace pour induire des résistances ;

  3. Un message contrôlant est peu efficace.


Dans la présentation de l’information, et cette responsabilité revient aux médias, il s’agit d’encourager la pensée analytique. L’une des caractéristiques des théories du complot est l'idée que les événements se déroulent de manière causale. En détachant les composantes d'un événement de son contexte et en concentrant l'attention sur les attributs de chaque composante, la pensée analytique peut perturber les perceptions de la relation causale inhérente à l'idéation conspirationniste. La pensée analytique aide les individus à détecter les conflits logiques.



Les chercheurs ont également démontré que le fait de réaliser une tâche nécessitant d’utiliser une pensée analytique avait une influence positive sur la tendance à adhérer à une théorie du complot. Il est donc possible d’activer notre pensée analytique même s’il ne s’agit pas de notre fonctionnement habituel.


Comment activer votre pensée analytique ?


Voici 3 questions qui activent notre pensée analytique (2) :


  1. Une batte de baseball et une balle coûtent 1,10 € au total. La batte coûte 1,00 € de plus que la balle. Combien coûte la balle ?

  2. S'il faut à 5 machines, 5 min pour fabriquer 5 objets, combien de temps faudrait-il à 100 machines pour fabriquer 100 objets

  3. Dans un lac, il y a une parcelle de nénuphars. Chaque jour, la superficie de cette parcelle double. S'il faut 48 jours pour que la plaque couvre tout le lac, combien de temps faudrait-il pour que la parcelle couvre la moitié du lac ?


Le fait d’avoir répondu à ces questions réduit votre chance d’adhérer à une théorie du complot de façon significative. En d’autres termes, même chez des personnes dont la pensée analytique n’est pas dominante, le fait d’activer ce type de raisonnement permet un recul plus grand face aux croyances conspirationnistes.


Les théories du complot et le COVID-19.


  • Le niveau de stress perçu :

Sans surprise, les résultats de cette étude suggèrent que les personnes qui ont tendance à croire aux théories du complot de façon générale adhèrent également à celles liées à l’épidémie actuelle. En revanche, les auteurs n’ont pas observé l’influence du stress perçu sur cette tendance à croire. Autrement dit, les personnes qui se sentaient stressées n’étaient pas davantage concernée par les théories conspirationnistes. Ceci peut être dû au fait que les personnes ayant répondu à l’étude étaient relativement jeunes.


  • La représentation de la réponse gouvernementale :

Plus une personne croit au théories du complot autour de l’épidémie, plus elle juge la réponse du gouvernement comme trop forte et illogique. D’autres idées sont fréquemment associées comme le fait que le gouvernement dissimule des informations au grand public ou bien que les actions menées ne servent que les intérêts des dirigeants.


  • Le niveau d’étude :

L’étude retrouve l’effet positif du niveau d’étude comme protecteur de l’adhésion aux théories du complot concernant le COVID-19 et les autres croyances conspirationnistes spécifiques.


Ce qu’il faut retenir au sujet des théories du complot dans l’épidémie de COVID-19.


Les croyances en des théories du complot autour de l’épidémie actuelle semblent plus liées à un système de croyances préexistant, c’est-à-dire cette tendance aux croyances plus larges, qu’à des altérations émotionnelles. L’adhésion à ces croyances n’est pas une simple réaction défensive par rapport à des événements actuels mais plutôt une disposition plus ancienne liée à une façon de penser.


Une légère différence entre pays a été observée. Au moment où l’étude a été menée, l’Italie, l’Espagne et la France étaient les pays les plus touchés. Les habitants de ces pays présentaient alors un niveau moins élevé de croyances relatives aux COVID-19. Ce phénomène s’est probablement atténué avec le temps et ce que les autres pays ont traversé et traversent encore. Par ailleurs, il est possible qu’un effet rebond ait lieu actuellement avec, par exemple, l’apparition de mouvements « anti-masques ».


Il existerait donc un mode de pensée « conspirationniste » qui conduirait certaines personnes à interpréter les événements à l’intérieur d’un système de croyances préexistant. Les informations sont donc traitées de façon à faire émerger des schémas et des connexions entre événements et à établir des liens de causes à effets. Ce mécanisme serait renforcé par ce qu’on appelle le « biais de confirmation », c’est-à-dire la tendance à rechercher et à privilégier les informations qui vont dans le sens de ce que l’on croit. Les points de vue différents sont alors vécus de façon très négative sur le plan psychologique (dissonance cognitive). Ce mode de pensée implique que les événements découlent de relations causales évidentes et ont bien souvent pour origine une influence humaine ou une intention gouvernementale.


Les phénomènes sociaux que nous observons actuellement semblent se situer dans le prolongement de ce que cette étude met en avant. Une partie de la population interprète les mesures gouvernementales en matière de santé au regard de certaines croyances.



 

(1) Réponse au test : Moïse n’avait pas d’Arche. Il s’agissait de Noé. Vous connaissiez peut-être déjà cette question connue sous le nom « illusion de Moïse ».

(2) Réponses aux questions d’activation de la pensée analytique :

1- Réponse intuitive : 10 centimes / Bonne réponse : 5 centimes

2- Réponse intuitive : 100 minutes / Bonne réponse : 5 minutes

3- Réponse intuitive : 24 jours / Bonne réponse : 47 jours

 

En complément, avec un angle un peu différent porté sur la question des théories du complot, je vous recommande la lecture de cet article :




 

Sources :


Herek G. M. Capitanio J. P . Conspiracies, contagion, and compassion: Trust and public reactions to AIDS. AIDS Education and Prevention: Official Publication of the International Society for AIDS Education (1994)


V. Swami, M. Voracek, S. Stieger, U.S. Tran, A. Furnham, Analytic thinking reduces belief in conspiracy theories Cognition, 133 (2014)


D. Barron, K. Morgan, T. Towell, B. Altemeyer, V. Swami, Associations between schizotypy and belief in conspiracist ideation Personality and Individual Differences, 70 (2014)

J.W. van Prooijen, Why education predicts decreased belief in conspiracy theories ; Applied Cognitive Psychology, 31 (2017)


M. Georgiou, P.H. Delfabbro, R. Balzan, Conspiracy beliefs in the general population: The importance of psychopathology, cognitive style and educational attainment ; Personality and Individual Differences, 151 (2019)


N. Georgioua, P. Delfabbroa, R. Balzan, COVID-19-related conspiracy beliefs and their relationship with perceived stress and pre-existing conspiracy beliefs ; Personality and Individual Differences Volume 166, 1 November (2020)

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