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Le nihilisme ou l'absence de sens. (Par Fabs)



-- Lucina à l'ouest --


Alors que Lucinda était tranquille depuis moins de trois minutes et que le bus la ramenait chez elle, après une journée de travail éreintant, son portable se mis à sonner la marseillaise. Un coup d’œil, c’était sa mère, qu’elle avait déjà eue quatre ou cinq fois dans la journée. « Je décroche ou … ? » pensa-t-elle. La question même pas terminée, le téléphone à l’oreille, elle regarde autour d’elle, la population diverse et éclectique assise à ses côtés.

- « Oui Berthe. », elle s’appeler Berthe, on ne choisit pas son prénom.

- « C’était pour te rappeler que Chouchou ne peut pas rester seul. »

- « Ben oui, je sais. »

- « Ah ben si, je te le redis … c’est pour ton appart … il a la dent dure, tu sais ? »

- « Comment çà, la dent dure ? »

- « Chez moi, c’est une chose, il gambade dehors, se défoule et rousigue les bûches pour la cheminée, mais dans ton appart aseptisé … »

« Quelle asepsie ? » …

Les oreilles dans le bus commencèrent à se tendre.

- « Ah non, il est justement encore plein d’hormones, dans sa deuxième année, rien à voir avec Loulou et ses treize ans. D’ailleurs, tu veux le faire dormir avec toi ? »

« Il ne couchera jamais dans mon lit. » répondit Lucinda d’un ton sec.

Les regards se font plus présents et dérangeants.

- « Je te conseille dans ce cas, de fermer la porte de ta chambre à clé, maintenant qu’il sait les ouvrir. Enfin, prends en soin, il aime les caresses et surtout, quand on lui gratte le ventre. »

- « Mais je n’ai pas prévu de le caresser, encore moins le bas du ventre. »

Levant la tête, elle s’aperçut que son entourage interloqué, pouvait faire une confusion.

- « Je parle du chien de ma mère. » dit-elle avec le rouge qui monte aux joues.

Voilà, tout était là : telle mère, telle fille.

Depuis de longues dates, son métier n’avait plus aucun intérêt, pour elle. Une seule envie, la taraudait depuis toujours : vivre une grande histoire d’amour ! Le cœur était préparé, le passé, loin déjà, il n’y avait plus qu’à aller chercher le prince charmant, le septième ou le huitième, elle ne le savait plus … peu importe.


- « Je ne pense pas pouvoir tenir encore bien longtemps sans vivre une nouvelle histoire d’amour. Maintenant que c’est clairement, enfin clairement pour moi, terminé avec Manuel. D’ailleurs il faudra que je réponde à son mail … il vient la récupérer quand il veut, sa commode. Elle n’est pas plus à lui, qu’à moi, nous l’avions acheté ensemble, mais bon, il y tient, plus que moi. Bon donc, il faut que j’arrête de m’éparpiller ; je me disais : oui, un nouvel amant qui me fasse rire, où est ce que je vais pouvoir le pêcher ? Premièrement, oui c’est ça, premièrement commencer par le début. Je vais demander à Clarisse de monter une petite fête et d’y inviter tous les prétendants possibles … un choix large, voilà ce qui importe. Deuxièmement, parce qu’il faut un deuxièmement : faire savoir à toutes les copines que je chasse à nouveau. Le chapitre avec Manuel est terminé, un nouveau commence. Et troisièmement, j’aime bien quand il y a trois points, ni trop, ni trop peu. Je vais réviser toutes les tactiques qui ont fait leurs preuves et sont notées dans mon cahier au coffre, à côté de la boussole. » se chuchotait elle dans son for intérieur.



Elle avait bien conscience que l’occident américanisé était partout chez nous, voire en nous. La boite de nuit ‘Hollywood Club’, nom donné par sa tenancière rock and roll en était un exemple, si le besoin en resté nécessaire. Une description factuelle n’aurait pas de sens, puisque la décoration change chaque mois. D’ailleurs le plein est une donnée approximative pour cet établissement, entre trois et cinq milles personnes peuvent y pénétrer. Nous sommes plutôt dans un moulin, la poudre blanche ne servant pas à faire du pain mais des overdoses. Lucinda s’interdisait de toucher à la coque, et essayait de dire stop, après le troisième verre … en théorie ! Cet autre espace-temps, lui plaisait beaucoup, complètement en phase avec son époque.



Afin de ne pas perdre trop de temps, elle avait donc mis le dispositif habituel en place : réseau de connaissances et sorties en tout genre planifiées sur les semaines à venir. La première soirée ne serait pas organisée en boite de nuit, mais sous peu, chez sa meilleure amie Clarisse. Des collègues de travail, un cousin éloigné, le coiffeur et bien d’autres seraient présents, mais surtout : le nouveau voisin de palier, un certain Luis serait là. Et puis, le jour J, patatras, alors que Lucinda s’était apprêtée pour séduire : petite robe moulante, talons aiguilles et blouson cintré, elle était à côté de la plaque. Elle n’avait tout simplement pas lu, avec sa suffisance habituelle, le dernier sms envoyé par Clarisse : ‘soirée déguisée’. En ouvrant la porte, quel ne fut pas son étonnement de voir : un Zorro, une fraise Tagada, un Elvis Presley, un Casimir, Minnie l’entouraient, maintenant. Tous les héros et héroïnes de sa jeunesse étaient présents. Un étourdissement l’envahit : perdue, elle était perdue : seule à visage découvert. Gentiment, l’amie organisatrice s’approcha d’elle, en soulevant son masque de Maya l’abeille.

- « J’ai dû louper un truc. » s ‘écria Lucinda soulagée de retrouver un visage connu.

- « Il semblerait … à moins que tu considères ta tenue de vamp, comme un déguisement. Viens, je vais arranger tout ça. » dit Clarisse.

En deux temps, trois mouvements, elle la tire dans la chambre, lui met un drap blanc sur la tête, découpe deux trous pour les yeux, noue une ceinture autour de la taille … et hop le tour est joué. Alors qu’elles allaient faire leur réapparition parmi la vingtaine de convives, Lucinda attrapa Clarisse par le bras :

- « C’est lequel ? »

- « Dieu » lui répondit-elle.

Effectivement, Luis s’était déguisé avec un coussin lui faisant un ventre bedonnant, une barbe blanche et une espèce de toge grise. Rien que le choix du personnage intrigua Lucinda : « Comment un fantôme doit-il aborder dieu ? »

Quelques verres plus tard, l’effet désinhibiteur de l’alcool faisant, et alors que son impatience montait, Lucinda décida de passer à l’action avec la fameuse méthode classique, qui a fait ses preuves, d’autant qu’avec ce drap, ses pieds aussi, étaient masqués.

- « Oh désolée, je vous ai marché sur le pied, je ne vous ai pas fait mal, j’espère ? »

Luis grimaçant « Le talon sur le petit orteil, je dois dire que c’est particulièrement douloureux, mais vos beaux yeux verts, vont guérir rapidement tout ça ».

« Ma boussole m’a encore bien guidée » pensa Lucinda qui se demande toutefois si elle n’y est pas allée un peu fort, avec son approche au corps à corps, en voyant les larmes couler sur les joues d’un Luis, ayant du mal à poser le pied par terre.

- « Comme dois-je vous appeler ? » s’écria Luis face au fantôme.

- « Casper » répliqua-t-elle en soulevant son drap, gênée des dégâts provoqués. « Asseyez-vous sur cette chaise et laissez-moi regarder vos pieds. »

Dieu ne se fit pas prier. A contrario de Cendrillon, c’était elle qui se trouvait maintenant à genoux, pour dénouer devant lui, sa sandale à la main.

- « Ah, ça n’a pas l’air trop grave » s’exclama Lucinda à la vue des orteils.

- « Et, si j’appuie là ? »

- « Aïe ! » cria Luis.


L’attroupement autour d’eux était tel, que la lumière ambiante ne permettait plus d’y voir grand-chose. Avec l’arrière-pensée la caractérisant, elle caressa le pied étourdi de sa proie à la vue de tous. Clarisse riait sous cape.

- « Venez, nous allons voir si quelque chose pourrait vous calmer, dans la pharmacie de la maison. »

- « Tu as bien un truc contre la douleur ? » questionna Lucinda à sa complice, bien préparée à tous ses subterfuges.

- « Oui, oui, la douleur çà me connait. »


En route donc vers les coulisses de la soirée. Lucinda soutenant Luis clopin-clopant, en direction de la salle de bain … il fallait passer par la chambre !

Lucinda : « Je vous dépose sur le lit et je reviens avec le nécessaire. »

Luis qui allait déjà mieux, l’alcool de la soirée faisant son effet retrouvait son humour légendaire.

- « Sur le lit ? J’anticipe en enlevant mon pantalon pour passer la pommade. » répliqua-t-il en la fixant, le sourire aux lèvres.

- « Vous pouvez tout enlever pour limiter les bouffées de chaleur liée à votre mal. » surenchérit elle, accompagnée d’un éclat de rire.

Quelques heures plus tard, Clarisse leur proposait de finir la nuit sur place, elle pouvait utiliser le canapé du salon.

Nos deux tourtereaux hochaient du chef, ils avaient tant de choses à se dire et à faire, allongés l’un à côté de l’autre.


« Alors Luis, vous aimez l’art ? » Questionna-t-elle, alors que le point était crucial même si elle feignait la question innocente.

Luis : « Cela dépend, mais si c’est pour dire que Mozart, Van Gogh ou Nietzsche sont des génies et par là même, mes héros, mes références, j’en suis convaincu et des frissons parcourent tout mon corps, rien qu’en prononçant leurs noms. » Lucinda était soulagée de ne pas avoir affaire à un inculte, un moderne, un nihiliste … comme elle.


En remettant ses boucles d’oreilles, tout en sortant du lit, les pensées du réel remontaient à la surface de son esprit. Mais elle ne devait pas coucher là. Quelle heure pouvait-il bien être, en ce dimanche matin ? Qu’avait-elle prévu de faire ? Rien, non, rien de précis … puis en regardant la barbe de Luis : Oh, non, Chouchou, le caniche de sa mère, qu’elle gardait chez elle depuis quelques jours ! Il ne supportait pas de passer la nuit : seul, c’est pour cette raison que sa mère, le lui avait confié. Elle avait été claire, voire insistante, la dernière fois que Chouchou était resté seul, une nuit entière, tous les fauteuils et une partie de la vaisselle avaient été visités avec les crocs. La surprise ne fût pas moins choquante, quand elle retrouva les câbles de la télévision mordillés, et Chouchou gisant. Les prochains échanges avec Berthe promettaient d’être héroïques !


- Fabs -

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