La douleur chronique et les compétences sociales
- Guillaume Baissette
- 11 nov. 2021
- 3 min de lecture
Article inspiré par une étude publiée le 5 Novembre 2021 dans la revue Cambridge University Press.

La HAS (Haute Autorité de Santé) définie la douleur chronique comme « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, liée à une lésion tissulaire existante ou potentielle, ou décrite en termes évoquant une telle lésion ». C’est une douleur qui persiste ou qui est récurrente et dont la réponse aux différents traitements n’est pas satisfaisante.
On estime à 20% la part des adultes souffrant de douleurs chroniques et l’importance de son retentissement dans différents domaines de la vie ont bien été documentés. Les douleurs chroniques provoquent entre autres une réduction de la participation à la vie sociale, un doublement du risque de suicide ou encore un risque accru de dépression.
Dans les facteurs psychosociaux qui pourraient entretenir ces douleurs, citons évidemment l’anxiété mais également le manque de soutien social. C’est en tout cas ce que suggère les recherches. Les auteurs de cette étude ont remarqué que les recherches précédentes ne s’étaient pas intéressées à l’impact de la douleur chronique sur la cognition sociale. Si tel était le cas, cela expliquerait le retentissement sur les interactions sociales qui à leur tour, faisant défaut, contribueraient à entretenir les douleurs chroniques.
A l’inverse des cognitions sociales qui ont été peu étudiées, les déficits des fonctions exécutives causés par la douleur chronique ont été bien démontrés.

Des études menées entre 2013 et 2016 ont pu mettre en évidence des déficiences au niveau des capacités d’empathie, mais également des difficultés dans la reconnaissance des émotions et des états mentaux d’autrui. D’autres études sur les douleurs aiguë ont démontré des altérations des jugements moraux et de la confiance interpersonnelle. La douleur aiguë conduit également les personnes qui en souffrent à diminuer leur tendance au partage avec les autres, à ressentir moins de culpabilité à l’idée d’exclure quelqu’un ou à l’idée de rejeter socialement les autres.
Les patients souffrant de douleurs chroniques se sentent souvent traités injustement et marginalisés par leur famille, leurs amis, leurs employeurs, leurs collègues et la société.
Les participants de cette étude ont proposé aux participants de jouer à un jeu. Il y avait deux groupes de participants d’une centaine de personnes chacun. Un groupe constitué de personnes souffrant de douleur chronique et un groupe témoin.

Le jeu se joue à deux. Un jouer est désigné comme étant « le proposant » et partage une somme d’argent entre lui et l’autre joueur appelé « le répondant » qui décide à son tour d’accepter ou de rejeter l’offre de partage. Si le répondant refuse l’offre, alors aucun des deux joueurs ne reçoit d’argent. Chaque participant à l’étude a incarné uniquement le rôle de répondant à leur insu. Le proposant étaient en réalité un membre de l’équipe dont les choix était dictés par ordinateur de sorte que les offres étaient prédéterminées.
Pour le répondant, le choix le plus lucratif est d’accepter toutes les offres supérieures à zéro. Pour autant, des études antérieures ont pu montrer que des offres avec des écarts trop grands et donc perçues comme injustes, sont rejetées par la plupart des individus. Les personnes préfèrent renoncer à un gain et punir le proposant injuste en lui imposant de ne rien gagner non plus. C’est ce que l’on appelle l’aversion pour l’iniquité.
Les chercheurs ont observé des résultats allant dans le sens de leur hypothèse de départ, à savoir que les personnes souffrant de douleur chronique ont plus tendance à refuser plus d’offres inégales que les personnes sans douleur chronique. Les patients souffrant de douleur chronique font preuve d’une aversion exagérée à l'inégalité désavantageuse et une plus grande volonté de renoncer à leurs propres gains monétaires pour punir leurs adversaires qui font des offres injustes.
L’hypersensibilité à l’iniquité et à l’injustice sociale est susceptible d’entraver le bon fonctionnement social. Dans l’exemple de ce jeu, le refus est potentiellement menaçant pour la vie sociale mais également pour le possible gain financier. Cette attitude peut conduire à l’isolement social et nous avons vu qu’il s’agissait probablement d’un des facteurs qui contribuent à perpétuer la douleur chronique.

Cette étude montre que les jugements liés à l'équité et non liés à la douleur chronique elle-même sont également systématiquement altérés chez les patients souffrant de douleur chronique par rapport à ceux observés chez les témoins sains.
La douleur physique, tout comme l’iniquité sociale, sont deux systèmes d’alarme servant à nous protéger respectivement de la blessure physique et de l’exploitation sociale. Il existe des preuves que ces deux systèmes d’alarme seraient connectés et l’activation de l’un entrainerait l’activation de l’autre. Des expériences ont pu montrer que la sensibilité à la douleur augmente à la suite d’une inégalité sociale désavantageuse induite expérimentalement. Il est donc possible d’imaginer le même effet dans l’autre sens, c’est-à-dire que la douleur physique augmente la sensibilité aux situations sociales injustes.
SOURCE :
Timm, A., Schmidt-Wilcke, T., Blenk, S., & Studer, B. (2021). Altered social decision making in patients with chronic pain. Psychological Medicine, 1-10. doi:10.1017/S0033291721004359
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