Sommaire :
Qu’est-ce que procrastiner ?
La théorie de la motivation temporelle.
Les objectifs de réussite et l’auto-efficacité.
Des avantages à procrastiner ?
Un mot du psy.
Nous connaissons tous ce terme, non seulement parce qu’il est marrant et pas si facile à prononcer mais aussi parce que nous avons tous fait l’expérience de ce qu’il signifie. Il est fort à parier qu’il vous est arrivé de reporter le début d’une action à mener ou bien l’achèvement de celle-ci alors même que procéder ainsi vous était préjudiciable. Sur le plan comportemental, c’est à cela que ressemble la procrastination.
Qu’est-ce que procrastiner ?
Nous allons donc essayer d’aller plus loin dans la compréhension de ce comportement afin de dégager des pistes pour le surmonter et l’empêcher de s’infiltrer dans nos vies.
En 2007, Piers Steel, de l’Université de Calgary, propose de définir la procrastination comme "le fait de retarder volontairement une action prévue alors que l'on s'attend à ce que le retard soit pire".
A l’université, jusqu’à 80% des étudiants disent avoir traversé des expériences de procrastination critique. Chez les adultes, 15 à 20% des personnes interrogées rencontrent des problèmes de procrastination. Divers domaines de la vie sont donc impactés négativement par la procrastination :
- Le travail : dans une étude menée en 2007, les employés passaient en moyenne
1h20 de leur temps de travail quotidien à des activités personnelles.
- La santé : retard dans les examens médicaux, moins d’activités de prévention et
moins d’accès aux traitements.
- Les études : retards dans les rédactions de mémoires, dans les révisions
d’examens, etc.
Il est à ce jour encore difficile de savoir si la procrastination touche plus les hommes que les femmes car bien que certains résultats aillent dans ce sens, la littérature n’en reste pas moins contradictoire à ce sujet.
La procrastination a à voir avec nos émotions. Il est d’ores et déjà aisé de comprendre qu’un vécu anxieux risque d’augmenter la probabilité de reporter la réalisation d’une tâche importante : la régulation temporaire d’une émotion peut passer avant la mise en action d’un projet à long terme. Ainsi, les personnes dites anxieuses, c’est-à-dire faisant l’expérience d’un vécu anxieux de longue durée sans lien avec un événement précis, ont une tendance plus forte que la population générale à procrastiner.
Nous allons voir l'une des théories utilisées dans les recherches récentes sur la procrastination et qui tente de rendre compte de ce comportement.
La théorie de la motivation temporelle.
Quand il s’agit de réaliser une tâche nous sommes nombreux à avoir expérimenté l’effet de l’urgence. Il n’est pas rare que nous nous retrouvions à devoir abattre une grande quantité de travail en un lapse de temps court afin de ne pas dépasser une échéance, et ce, alors même que nous aurions pu nous y prendre bien avant.
C’est cette idée d’un potentiel motivant de l’approche d’une échéance qui se retrouve au cœur de cette théorie de la motivation temporelle. L’utilité perçue de l’action à mener augmenterait de façon exponentielle à l’approche de l’échéance.
Nous allons voir comment ce modèle se construit et comment il peut rendre compte à la fois d’attitudes normales mais aussi de la procrastination.
Ce modèle vise à prévoir la Motivation. Cette dernière est ici définie comme le désir de survenue d’un résultat particulier. Autrement dit, la motivation est l’envie de voir se réaliser quelque chose par le biais de notre action.
D’après Piers Steel et Cornelius J. König, qui sont les co-auteurs de cette théorie, la motivation est dépendante des 4 facteurs suivants :
1- L’Espérance (E) : à entendre ici comme une estimation de la probabilité de réussir
la tâche.
2- La Valeur (V) : la valeur de la récompense associée au résultat attendu.
3- L’impulsivité (I) : l’absence de sensibilité au temps avant l’échéance.
4- Le Délai (D) : le temps avant l’échéance.
A l’aide de ces variables, les auteurs proposent une formule permettant de calculer un score de motivation :
Dans le cas de la procrastination, l’hypothèse avancée dans ce modèle serait un échec de l’auto-régulation. L’auto-régulation est un processus conscient visant à orienter et guider ses propres pensées, comportements et émotions afin d’atteindre des objectifs. Elle permet de contrôler ses impulsions et les désirs à court terme. L’impulsivité est liée à ce processus d’auto-régulation.
Le cas des apprentissages est intéressant pour comprendre plus en détail ce qu'est l'auto-régulation. Les capacités que nous mettons en œuvre pour apprendre sont très variables d'une personne à l'autre et certaines d'entre elles ont directement une influence sur notre motivation.
Les objectifs de réussite et l’auto-efficacité.
Nous avons vu que l’une des causes de la procrastination serait un échec de l’auto-régulation, ce processus conscient d’orientation des pensées, comportements et émotions.
L’une des dimensions de l’auto-régulation est l’apprentissage auto-régulé, c’est-à-dire la capacité à apprendre en utilisant :
- Sa métacognition : réfléchir sur ses
réflexions.
- L’action stratégique : planification,
suivi et évaluation des progrès
personnels.
- Sa motivation à apprendre.
Ce qui nous intéresse ici, c’est de comprendre comment se construit la motivation lors d’un apprentissage car un apprentissage nécessite une mise en action et l’achèvement de tâches organisées, ce qui se retrouve évité ou différé dans la procrastination.
Dans le cadre d’un apprentissage, deux types de pensée peuvent alimenter la motivation : les objectifs de réussite (orientation de la pensée vers la réalisation) et l’auto-efficacité (le sentiment d’être capable de réaliser une tâche).
Les objectifs de réussite font référence à la façon qu’une personne a de réagir à la présentation de tâches à réaliser. Ce que cela crée comme pensées, émotions et comportements. Quatre profils différents sont à distinguer :
1- Maitrise-approche : concentration primordiale sur l’apprentissage, la résolution de problèmes grâce à un travail intense.
2- Maîtrise-évitement : évitement de situations qui pourraient être pires que celles déjà vécues ou évitement des échecs d’apprentissage.
3- Performance-approche : énergie mise dans la volonté de prouver aux autres ses hautes capacités.
4- Performance-évitement : évitement de situations qui renvoient à l’incompétence ou au sentiment d’être moins capable que les autres, tout en cultivant une apparence de réussite sans effort.
"Alors, quel est votre profil ?"
Les profils « maitrise-approche » sont moins susceptibles de procrastiner car ils développent des processus et des résultats adaptés. Les données sont moins claires concernant les profils « performance-approche » mais ce profil ne semble pas protéger de la procrastination. En revanche, les profils « maitrise-évitement » présentent des tendances plus fortes à la procrastination. La littérature s’accorde généralement pour dire que les profils « évitement des objectifs » sont plus souvent associés à des processus et des résultats inadaptés.
L’auto-efficacité est un concept élaboré par Albert Bandura en 1977 et qui réfère à la croyance qu’une personne a dans sa capacité à réaliser une tâche. Cette croyance contribue à valoriser ou dévaloriser un ensemble de forces mentales disponibles et ainsi de créer respectivement de la détermination, de la persévérance ou bien à l’inverse de l’évitement et de la procrastination.
Cette hypothèse est retrouvée dans les études menées. Un niveau élevé d’auto-efficacité est associé à de faibles niveaux de procrastination.
Au regard de ces informations, la procrastination pourrait être en partie surmontée si l’on apprend à investir son énergie dans la maitrise d’une tâche ou la performance sociale que sa réussite provoque plutôt que de mettre son énergie à éviter des émotions désagréables liées à l’échec ou à la comparaison négative avec les autres.
Dans le même sens, se confronter à des tâches trop compliquées pourrait déconstruire le sentiment d’auto-efficacité et donc contribuer à augmenter la procrastination. Il faut donc veiller à se fixer des objectifs atteignables et ainsi renforcer la détermination et la persévérance.
Des avantages à procrastiner ?
Comme nous l’avons évoqué au début de ce sujet sur la procrastination, les émotions semblent occuper une place importante pour expliquer ce comportement.
En 1997, Dianne Tice et Roy Baumeister du département de psychologie de l’Université de Cleveland, ont réalisé une étude comparant les étudiants qui procrastinent à ceux qui ne procrastinent pas et ont constaté qu’au début du semestre, ceux qui ont tendance à procrastiner avaient un niveau de stress moins élevé que les autres.
En revanche, plus tard, ils présentaient un niveau de stress plus élevé et étaient plus malades que les étudiants qui n’avaient pas procrastiné. La procrastination est un comportement conduisant à des avantages à court-terme mais coûteux à long-terme.
Pour Kamden Strunk, YoonJung Cho, Misty Steele et Stacey Bridges, les modèles classiques de la procrastination passent à côté de 2 éléments essentiels :
1- L’engagement en temps utile : selon ces auteurs, dans les modèles traditionnels de la procrastination, la classification ne se fait qu’en fonction du délai avant échéance. Il y aurait un continuum entre une très faible procrastination et une procrastination extrême dont les contours seraient flous et difficiles à définir. Il faut donc, selon eux, ajouter une dimension, celle de l’engagement en temps utile. La procrastination ne dépend donc pas seulement du délai avant l’échéance mais également de la capacité à s’engager au moment opportun.
2- La valence motivationnelle : toujours d’après ces mêmes auteurs, il est insuffisant de classer la procrastination de façon unidimensionnelle selon la présence ou l’absence de comportements visant à différer la réalisation d’une tâche. Il est important pour eux d’intégrer la valeur de la motivation associée à la tâche : la motivation d’approche oriente le comportement vers des résultats positifs alors que la motivation d’évitement oriente le comportement dans le but d’éviter des résultats négatifs.
Pour mieux comprendre ce que ce dernier point implique dans le cas de la procrastination, voici deux exemples : un comportement de procrastination avec une motivation d’évitement peut être motivé par la volonté d’éviter une tâche désagréable, l’anxiété qu’elle peut provoquer ou bien encore la possibilité d’échouer. A l’inverse, un comportement de procrastination avec une motivation d’approche peut être motivé par le sentiment de mieux performer sous la pression du temps. Autrement dit, la procrastination peut également être envisagée sous l'angle d'une maitrise face à la tâche à réaliser en lien avec une bonne connaissance de soi.
Ces dimensions supplémentaires permettent d’envisager une représentation positive de la procrastination, celle de la procrastination active. Dans ce cas, la personne qui procrastine décide de reporter certaines tâches afin d’atteindre des objectifs plus valables et de transformer l’expérience émotionnelle associée à la tâche en expérience positive.
En d’autres termes, réaliser un travail petit à petit chaque jour peut paraitre une expérience ennuyeuse alors que le réaliser au dernier moment avec beaucoup de pression de temps le transforme en une expérience intense de dépassement de soi et d’accomplissement.
Dans une étude publiée en 2017 dans le journal Personality and Individual Differences portant sur la personnalité des étudiants et les effets de la procrastination passive ou active sur leurs résultats académiques, les auteurs ont relevé quelques informations intéressantes. La personnalité des personnes qui procrastinent de façon active est différente de celles qui procrastinent de façon passive. Les procrastinateurs actifs sont plus extravertis (niveau général d'activité plutôt tourné vers l'extérieur) et présentent plus de névrotismes (tendance à l'expérience d'émotions négatives. Les personnes avec un faible niveau de névrosisme peuvent sous-estimer les menaces et se comporter de façon insouciante). La procrastination active prédit une meilleure réussite académique.
"Êtes-vous un procrastinateur actif ou passif ?"
Un mot du psy.
Comme dans bien des cas, l’un des principaux adversaires à une vie psychique saine et équilibrée est la culpabilité. Dans le cas de la procrastination, elle va se manifester de façon insidieuse et répétée, sur le moment ou dans l’après-coup et en lien avec des exigences morales parfois inutiles à votre épanouissement, parfois irréalistes.
A la pensée « j’aurais dû faire autrement », préférez « Que puis-je faire maintenant ? ». La responsabilité plutôt que la culpabilité. La réponse à cette question doit être des plus réalistes et implique donc la reconnaissance de vos forces et de vos faiblesses par rapport à la tâche à réaliser. Une réponse idéalisée vous conduira de nouveau à un vécu d’échec dans l’épreuve de réalité, ce qui affaiblira votre « auto-efficacité » et finalement votre motivation pour l’épreuve suivante.
Combien de fois vous êtes-vous imaginé en train de réaliser telle ou telle épreuve avec une motivation sans failles, sans prendre en compte des éléments de réalité comme votre niveau de fatigue, vos émotions ou tout autres facteurs environnants qui vous rendent diminuent le moment venu ?
Bienveillance et réalisme.
L’évitement est une défense qui conduit bien souvent à augmenter le danger perçu dans la situation évitée. Vous êtes peu à l’aise avec les transports en commun, vous commencez à éviter de les prendre et l’engrenage peut se mettre en place et conduire à une représentation anxieuse de plus en plus sévère. Lorsque vous procrastinez, il se peut que vous soyez dans l’évitement d’un vécu désagréable. Autant que possible, avancez pas à pas vers ce que vous avez tendance à fuir mais qui ne constitue pas de danger réel pour vous. L’approche plutôt que l’évitement.
Dans le prolongement, et comme évoqué plus haut, les tâches à réaliser doivent être à votre portée. Si vous pouvez réaliser un petit effort mais n’êtes pas sûr de pouvoir en réaliser un plus grand, contentez vous du premier. Répéter la réalisation de petits efforts entretiendra votre détermination et votre persévérance. Ainsi, de plus grands efforts vous seront accessibles avec le temps.
Tous ces éléments sont une vue globale de la question de la procrastination et chacun peut avoir un vécu tout à fait singulier et différent de ce qui est évoqué ici. Ces éléments ne constituent que des pistes qui, je l’espère, parleront à certains.
G.B.
SOURCES :
Emotional attitudes towards procrastination in people: A large-scale sentiment-focused crawling analysis / Author: Zhiyi Chen,Rong Zhang,Ting Xu,Yaqi Yang,Junyu Wang,Tingyong Feng /Publication: Computers in Human Behavior / Publisher: Elsevier
Date: September 2020
The overlapping region in right hippocampus accounting for the link between trait anxiety and procrastination / Author: Rong Zhang,Zhiyi Chen,Ting Xu,Libin Zhang,Tingyong Feng / Publication: Neuropsychologia / Publisher: Elsevier
Date: September 2020
Engaging in personal business on the job: Extending the presenteeism construct / Author: Erik R. Eddy, Caroline P. D'Abate / Publication: Human Resource Development Quarterly / Publisher: John Wiley and Sons
Date: Aug 29, 2007
Comparing active delay and procrastination from a self-regulated learning perspective / Author: Danya M. Corkin,Shirley L. Yu,Suzanne F. Lindt / Publication: Learning and Individual Differences / Publisher: Elsevier
Date: October 2011
Implicit beliefs, achievement goals, and procrastination: A mediational analysis / Author: Andrew J. Howell,Karen Buro / Publication: Learning and Individual Differences / Publisher: Elsevier
Date: 1st Quarter 2009
Development and validation of a 2×2 model of time-related academic behavior: Procrastination and timely engagement / Author: Kamden K. Strunk,YoonJung Cho,Misty R. Steele,Stacey L. Bridges / Publication: Learning and Individual Differences / Publisher: Elsevier
Date: June 2013
Procrastination, personality traits, and academic performance: When active and passive procrastination tell a different story / Author: Sowon Kim,Sébastien Fernandez,Lohyd Terrier / Publication: Personality and Individual Differences / Publisher: Elsevier
Date: 1 April 2017
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